François Baby, promoteur immobilier

Charles-François-Xavier Baby, est né en 1794; son père était François Baby, et sa mère, Marie-Anne Tarieu de La Naudière.

François Baby, promoteur immobilier.

1844…

François Baby a de sérieuses difficultés financières; pour se tirer d’affaire, il imagine de subdiviser un grand terrain lui appartenant en petits lots destinés à la construction de maisons individuelles; c’est probablement aussi pour protéger ses droits, car, quelques mois plus tard, l’Acte des municipalités vient réglementer la gestion de certaines agglomérations; de fait, Saint-Pierre-les-Becquets devient, en 1845, une municipalité de paroisse.

Il mandate Pierre-Louis Morin, arpenteur, pour dresser un plan de ce qu’il va nommer le « Domaine de Lapérade », en l’honneur de sa mère, madame Tarieu Lapérade de La Naudière; les plans seront présentés en décembre 1844.

Ce terrain , de dix-sept arpents, est délimité au nord par la falaise et le manoir; au sud, par une coulée qui coupe sa terre en deux; à l’est par la terre de Joseph Dionne, et à l’ouest par les terrains de l’église paroissiale; l’arpenteur Pierre-Louis Morin prévoit 99 emplacements, dont 10 de formes irrégulières, à cause du ravin au sud, et de l’auberge de Chaillez au coin nord-est; tous les autres terrains sont identiques, et de 50 pieds par 77. Ces lots sont distribués en neuf îlots séparés par des rues se coupant à angle droit, d’inspiration résolument moderne. En fait, de nombreux lotissements actuels adoptent un plan d’ensemble comparable, et des dimensions similaires.

Ci-haut, le plan de 1844, présenté par l’arpenteur Pierre-Louis Morin

En bas, ce qui était réalisé du domaine de Lapérade, en 1872

Dans les actes de vente de ces petits lots, on retrouve beaucoup d’exigences; l’obligation de clôturer le terrain, d’entretenir les chemins contigus, de construire une maison de 25 pieds par 25 dans l’année, de la blanchir à la chaux aux deux ans; le terrain est aussi assujetti à une rente foncière, de une livre et dix chelins par an; le vendeur se réserve le droit de saisir le lot si certaines conditions ne sont pas respectées. Quelques terrains trouvent preneur dans les années suivantes, et plusieurs habitations sont érigées. Il ne semble pas que François Baby ait été contraint de saisir des lots, à cause de clauses non respectées; mais combien d’acheteurs potentiels ont été rebutés par ces exigences, l’histoire ne le dit pas.

Mais François Baby éparpille ses efforts, exploite les forêts de la région, possède des bateaux, obtient des contrats pour la construction de quais et de phares, d’un chemin de fer sur la rive nord, d’un service de remorquage de navires entre Québec et Le Bic, sans oublier ses activités agricoles à Saint-Pierre. De fait, il délaisse la petite localité pour s’établir à Québec; il s’intéresse moins à son entreprise immobilière, et celle-ci stagne; en dix ans, seulement une douzaine de lots ont été concédés.

Ainsi, le 14 décembre 1844, deux lots sont concédés, le 86 (selon la désignation du cadastre de 1872, encore en vigueur aujourd’hui) à Louis Mainguy, cultivateur, et le 87, à Joseph Côté, cordonnier. En 1845, le 16 juin, Josué Brisson, cultivateur, devient le concessionnaire du lot 88.

 

Une rue de St-Pierre...
L’église, à droite, est longée d’un trottoir de bois; à gauche, la maison de François Mailly (Magny ou Mainguy), avec ses trois lucarnes, située sur le lot 86; cette belle photographie a été prise au début du siècle par le réputé Pinsonneault de Trois-Rivières, qui nous a ainsi laissé de nombreux clichés précieux.

Il faudra attendre cinq ans pour qu’un autre lot soit cédé, le 81, à Augustin Poudrier, plâtrier de son métier; ceci se passait le 14 mars 1850. On remarque que, sur la carte de 1844, le lot 81, plus large que les autres, occupait, en plus du lot « normal », l’espace prévu pour la rue Saint-François, qui ne fut pas ouverte.

Puis, le 28 janvier 1851, François Magny, traversier, se porte acquéreur du lot 85, suivi, le lendemain, par Eusèbe Coulombe, cordonnier, qui devient propriétaire du lot voisin, le 84. Le 6 juin 1851, Lucie Jacques, sans profession (les femmes ne travaillaient pas, en ces temps-là), acquiert le 80.

Quelques mois plus tard, le 27 décembre 1852, Siméon Charland, ferblantier, devient propriétaire du 79. Ainsi, presque tous les lots faisant face aux terrains de l’église sont occupés.

Enfin, le 25 juillet 1853, les lots 69, 70, 71 et 73, sont accordés à, respectivement, Luc Matte, menuisier; François Courteau, également menuisier; Jacques marcellin, cultivateur, et Magloire Baril, commerçant. Journée bien occupée pour le notaire Félix Bédard…

En neuf ans, seulement une douzaine d’emplacements sont concédés; sur la centaine de prévue, c’est peu; et, semble-t-il, jusqu’au décès de François Baby, en 1864, aucun lot ne sera concédé; pourquoi?

Le terrain étant concédé, il n’y avait pas de prix de vente, mais des versements annuels à perpétuité, comme un loyer; un cens, qui était une redevance; la rente annuelle de une livre et 10 chelins, équivalent à sept piastres de l’époque, était assez élevée pour un petit terrain, mais justifiée par sa situation en plein cœur du village. Un droit de mutation, de dix pour cent de la valeur de la propriété, frappait le nouveau propriétaire. Mais tout ceci était tout à fait acceptable, à l’époque.

Les exigences en fait de délai de construction n’ont pas semblé rebuter les clients; chaque maison a été construite dans les délais prescrits.

Les contraintes dues à la proximité des voisins, comme le blanchissage à la chaux, aux deux ans, de la clôture et de la maison, l’ouverture et l’entretien des voies de circulation, ont été bien acceptées.

Il semble aussi que François Baby avait des sources de revenu plus intéressantes, plus lucratives; son commerce du bois, ses activités agricoles, maritimes et ferroviaires, les rentes seigneuriales, ses contrats de constructions, devaient présenter plus d’attraits. Céder une parcelle de terrain, pour en retirer une somme modeste ne lui souriait plus autant. De plus, il habitait maintenant la grande ville de Québec, et se désintéressait d’un projet qui avait eu de la difficulté à démarrer.

D’après Jacques Crochetière, l’absence d’établissement commercial, manufacture, fabrique, n’a pas incité les gens à s’établir dans le village, et ce serait un facteur incontournable expliquant l’échec de ce projet; ceci reste tout à fait d’actualité; en effet, à l’heure où l’on se parle, la préoccupation majeure des élus municipaux est encore d’attirer des moteurs de l’économie, qui sont un gage de survie.

Ce qui reste de ce projet, c’est un groupe de maisons, le long de la rue Marie-Victorin, face aux terrains de l’église, et les maisons de la rue Lapérade. Plusieurs datent des années 1845.

Sources : une très grande partie des faits relatés ici proviennent de l’excellent ouvrage de Jacques Crochetière, et de recherches aux archives nationales de Québec.