CE QU’ILS BUVAIENT, sous le régime français.

Que buvaient nos ancêtres venus de France et d’ailleurs? Les premiers arrivants ont certainement tenté de conserver leurs habitudes; à cette époque, les européens se désaltéraient avec de la bière, du cidre, et du vin.

La cervoise ou bière était brassée avec du blé, de l’orge ou du houblon, additionné d’eau puis fermenté. Il faut dire qu’en Europe, dans les temps anciens, cette boisson était la plus répandue; les Germains de l’Europe centrale faisaient et buvaient de la cervoise en grande quantité et les Gaulois en raffolaient. La vigne, implantée par les Romains dans l’Europe méridionale, donnait un vin apprécié, consommé surtout par les nobles et les bourgeois, car il coûtait plus cher. C’est vers 1200 à 1400 que le cidre se répandit en Europe. Vers 1500, à Paris, on avait au moins trois choix de breuvage : bière, cidre, vin. Mais la bière reste le plus populaire : elle est bon marché et on est à peu près certain de ne pas manquer de matières premières. La vigne est affectée de maladies (come elle le sera avec le phylloxéra vers 1861), et il y a parfois de mauvaises saisons pour les pommiers.

Dans ses écrits, Jacques Cartier parle de l’abondance de vignes sauvages sur les rives du Saint-Laurent. Avec le défrichement, on pense que les vignes « ont pris des engelures » et n’ont jamais pu prospérer. De toute façon, les premiers colons du Canada venant de pays de la bière et du cidre ne s’adonnaient pas au vin.

Du temps de Champlain, la Nouvelle-France reçoit des pommiers de Normandie, plantations qui seront florissantes 25 ans plus tard. Dans la région de Québec et de Montréal, on cultive plusieurs variétés de pommes servant surtout à la compote, n’étant probablement pas des pommes à cidre.

Louis Hébert quant à lui améliorera un breuvage déjà connu; apothicaire et herboriste, il développe la bière d’épinette. Quatre-vingt-dix ans avant Hébert, les hommes de Cartier avaient été guéris par ce remède des « Sauvages » qu’ils fabriquaient tant bien que mal, à partir de branches d’épinettes, ne connaissant pas la fermentation. Pour Louis Hébert, les branches d’épinette serviront à la fois de remède et de boisson.

Un autre breuvage était très apprécié à l’époque : le bouillon, fait de pâte crue, levée et fermentée dans une eau épicée. On vendait même le bouillon en baril. Pierre Boucher, en réponse à des questions qui lui sont posées à Paris disait : « A l’ ordinaire, on boit du vin dans les meilleures maisons de la colonie, de la bière dans d’autres, aussi un breuvage appelé bouillon qui se boit communément dans toutes les maisons. Les plus pauvres boivent de l’eau qui est fort bonne et commune dans ce pays ». Il ajoute : « On n’a point planté d’arbres fruitiers de France sauf quelques pommiers qui rapportent de fort bonnes pommes et en quantité », pommes servant pour la compote; le cidre ne comptait pratiquement plus dans la colonie, cinquante ans après la fondation de Québec.

En 1670, Jean Talon fait construire des brasseries de bière, mis devant le fait que la bière l’emportait sur le cidre dans la consommation du peuple.

Après 1665, sont présents aussi le rhum et une eau-de-vie de canne de médiocre qualité appelée guildive*, qui amèneront beaucoup de problèmes.

Dès que le pays commença à recevoir des gens de qualité, l’importation de vin devint nécessaire; on préférait les vins de Bourgogne, la renommée du vin de Bordeaux n’étant pas bonne au 17ème siècle, et le champagne coûtait beaucoup trop cher.

En plus, les femmes n’avaient pas leur pareil pour la fabrication de sirops, liqueurs douces, vin de gadelles, vin de framboises, vin de cassis et autres.

Avec l’excellente eau des rivières, la grosse bière, la bière d’épinette, la guildive, le rhum, les vins aux petits fruits, les liqueurs douces : il y avait de quoi réjouir et réchauffer le cœur des premiers colons.

Avec le régime anglais, les habitudes vont changer.

Références : Mélanges historiques de Benjamin Sulte

* Guildive : de l’anglais « kill-devil, tue-diable »; eau-de-vie, tirée de la canne à sucre, comme le rhum, mais médiocrement distillée; le dominicain Jean-Baptiste Labat, au début du XVIIIème siècle, en Guadeloupe, met au point un alambic ingénieux, qui donne naissance à une eau-de-vie beaucoup plus raffinée, le rhum.