L’an de grâce 1707…

En cette belle journée du 22 mai, à la fin du printemps, deux petites filles jouaient dans les champs entourant leurs maisons à Oyster River, New Hampshire; Marie Anne Drew, fille de Thomas Drew et de Mary Bunker, était âgée de 11 ans, tandis que son amie Élizabeth Lomax, fille de Nathaniel Lomax et de Deliverance Clark, était un peu plus jeune.

Thomas Drew était tonnelier dans la petite localité, père d’une dizaine d’enfants et travaillait dur pour gagner sa subsistance.

La campagne était calme, les oiseaux chantaient, les fleurs s’épanouissaient au chaud soleil; la vie était douce pour ces deux amies.

Tout à coup, plusieurs indiens surgirent des fourrés derrière les fillettes et les empoignèrent rudement; elles avaient beau se débattre et hurler, elles furent jetées sur les épaules de deux d’entre eux qui s’enfuirent aussitôt.

Le temps que les voisins réagissent, les ravisseurs avaient déjà regagné l’ombre de la forêt proche; les enfants furent ligotées, bâillonnées et jetées au fond d’un canot d’écorce qui était dissimulé sur la rive d’un cours d’eau tout près.

Malgré les efforts des parents, des voisins, de la milice locale, les indiens ne furent pas rattrapés et les petites Marie Anne et Elizabeth, terrorisées, après quelques jours de canot se retrouvèrent bientôt dans des campements abénaquis en Nouvelle-France. C’était un raid parmi tant d’autres en Nouvelle-Angleterre.

Pourquoi les abénaquis, que nous connaissons si calmes et pondérés agissaient-ils ainsi? Il faut savoir qu’ils occupaient auparavant la région du Maine et du New Hampshire et que repoussés sans ménagement vers le nord par les colons anglais, ils cultivaient une rancœur tenace envers ces intrus; bien accueillis par les français de la vallée du St-Laurent, ils devinrent rapidement leurs alliés et accomplirent des raids sanglants contre leurs oppresseurs.

Que faisaient-ils de leurs captures? De la monnaie d’échange contre rançon, vente comme esclaves, remplacement d’un guerrier tombé au combat, compagne de vie, ou, dans les cas extrêmes, torture et mort  pour assouvir leur vengeance. Deux petites filles pouvaient  avoir aussi un autre sort.

Après une fuite rapide, évitant de faire du feu pour ne pas se faire repérer, les kidnappeurs accompagnés des deux enfants arrivèrent bientôt dans des campements abénaquis situés près de leurs alliés français; les ravisseurs avaient déjà une certaine idée de leur sort; en effet, les français répugnaient à certaines pratiques comme la torture ou les mauvais traitements; devant deux petites filles prisonnières, ils seraient enclins à les acheter et les élever correctement, ce qui veut dire dans la religion catholique.

En effet, on a appris qu’Elizabeth Lomax a été baptisée dès le 11 septembre suivant, ses parents adoptifs ayant craint pour le salut de son âme.

Pour sa part, Marie Anne Drew a été recueillie par monsieur Dumontier, secrétaire de Philippe Rigault, gouverneur général de la Nouvelle-France; elle ne pouvait pas tomber mieux; son éducation religieuse a été moins précipitée et elle fut baptisée le 20 octobre 1709 à Québec. Elle fit probablement des études chez les ursulines de Québec comme beaucoup de jeunes filles de la colonie.

Devenue  une femme tout à fait convenable, elle a rencontré un dénommé Étienne Lafond qu’elle a épousé en 1732; elle atteignait la fin de la trentaine et il était temps pour elle de se « caser ».

Le couple Lafond-Drew (ou Drue) a eu un enfant, Antoine, né en mai 1733. Cet Antoine a eu plusieurs rejetons qui se sont établis sur la rive nord et dans la région de Lanaudière; Marie Anne elle, est décédée en août 1763.

Une destinée qui la vit naître en Nouvelle-Angleterre, élever  en Nouvelle France, et qui mêla ses gênes à ceux des Lafond pour donner une lignée abondante.

Alain Manset, SHGLB