Romain Becquet se doutait-il des charges qui l’attendaient en venant en Nouvelle France? Il a bien rempli son rôle de notaire royal. Quant à développer la seigneurie qui lui avait été concédée, ce fut un échec; faute de la mettre en valeur, sa possession seigneuriale lui fut retirée. En décédant à Québec le 20 avril 1682, il laissa deux jeunes orphelines.

C’est Catherine-Angélique, née le 20 avril 1680, qui héritera de la Seigneurie; elle était une des filles de Romain Becquet, et Louise Mousseau, épouse de Pierre Pellerin, en fut la tutrice. Elle épousa Louis Lévrard en 1703, et le couple Lévrard-Becquet continuera ce que Gilles Masson de Batiscan avait déjà commencé dans le développement de la seigneurie de St-Pierre. En effet, dans les contrats de l’époque, Masson s’identifie comme « seigneur de St-Pierre, accordant des terres »; étant donné qu’il n’y avait pas de seigneur présent à St-Pierre, aussi bien en profiter, surtout que le défrichement du coté nord du St-Laurent entre autre à Batiscan, est avancé.

Le premier travail du couple Lévrard-Becquet, sera de récupérer le titre officiel de seigneur, ceci par une ordonnance rendue par sieur Raudot, le 9 mars 1708, « condamnant Gilles Masson et Jeanne Gauthier, son épouse, à déguerpir de la terre, fief, seigneurie de St-Pierre ». Il faudra s’entendre avec Masson et les propriétaires des terres par lui concédées et à qui ils payaient cens et rentes. Mais ces propriétaires n’avaient pratiquement pas fait de défrichement, la plupart ne demeurant pas en la seigneurie Lévrard, mais à Batiscan, ne tenant pas feu et lieu à St-Pierre. La raison majeure évoquée par les habitants est qu’il n’y avait point de moulin.

Alors, en 1717, Lévrard fait bâtir un moulin « afin de faciliter l’établissement dans la seigneurie ». Il sera construit sur la première terre, lot 1 de la seigneurie, lot touchant la seigneurie de Deschaillons. Érigé sur un bras de la rivière Duchêne, sur une terre ayant 8 arpents de front, c’est « un moulin faisant farine, construit en bois, de 30 pieds de long sur 24 de large, sans aucune terre labourable ni prairie ».

Cette terre avait déjà été concédée par Masson aux dénommés Massicot et Carignan. Ces derniers, en 1723, demandent à l’intendant Michel Bégon que le sieur Lévrard soit condamné à leur rendre leur terre dont selon eux, « le sieur Lévrard s’est emparé, sans leur consentement, pour y construire son moulin, et de leur restituer les rentes des terres depuis qu’il s’en est mis en possession. »

Pour sa défense, le sieur Lévrard dit « qu’il a fait bâtir un moulin en 1717 pour faciliter l’établissement dans la seigneurie et que ce moulin est en bon état et qu’il souffre un tort considérable du fait que les concessionnaires n’y tiennent point feu et lieu (…) et ne trouvant point de lieu plus convenable pour placer le moulin que sur la terre des Massicot et Carignan, sur laquelle ils n’avaient fait aucun désert (défrichage), il a été obligé pour l’utilité publique d’y établir son moulin comme le lieu le plus propre de la seigneurie » .

Bégon tranchera : il condamne le sieur Lévrard de St-Pierre à rembourser cens et rentes sur les terres où il a établi son moulin, à faire de nouvelles concessions dans l’endroit que choisiront, en dedans de 3 mois, les propriétaires des terres du moulin qui devront y tenir feu et lieu.

Plusieurs ordonnances de Bégon seront publiées, à la porte de l’église paroissiale de Batiscan (1708-1718-1721…) afin que les habitants tiennent feu et lieu sur les terres qui leur sont concédées, faute de quoi le sieur Lévrard les réunit à son domaine pour les concéder à d’autres habitants.

En 1727, soit 10 ans après avoir établi son moulin, le sieur Lévrard déplore une fois de plus « que les habitants ne tiennent point feu et lieu quoiqu’ils en soient obligés par leur contrat, jouissent depuis longtemps des terres sans y être établis et sans y avoir fait aucun travaux ou du moins peu de chose, leur intention étant seulement d’en détériorer le bois (…) ce qui met hors d’état d’entretenir le moulin qu’il a fait bâtir et qui lui coûte plus de 15000 livres et lui cause la ruine totale, ne tirant aucune utilité de ses travaux sur cette seigneurie, faute par les habitants de s’y être établi ».

Louis Lévrard décèda le 1er janvier 1747, laissant la seigneurie à son fils Charles.

Jocelyne Lafond