LES CIMETIÈRES

Vous vous rappelez, sans doute, qu’il y a quelques années, le Conseil d’Hygiène du Québec affirmait dans ses communiqués qu’il était insalubre de s’établir à proximité d’un cimetière!  Miasmes et feux-follets, superstitions, danses macabres, épouvante, nul ne songeait à s’exposer à ce morbide voisinage.
Mais tout cela était histoire ancienne.  Désormais, si vous voyagez un tant soit peu par les routes du Québec, vous découvrirez des espaces privilégiés, frileusement blottis près des anciennes églises, où vous constaterez qu’il s’agit de généalogies gravées sur bois, granit, marbre ou pierre; l’histoire d’une paroisse, de tout un peuple.  Il y a quelques années, nous voyagions avec des amis sur la côte de Beaupré, lorsque notre véhicule subit une avarie qui nous contraignit à nous arrêter.  Alors, pendant le temps que dura la réparation, nous nous mîmes en quête de visiter les abords de l’église!   Tous ces noms rassemblés me firent l’effet d’un vaste cours d’histoire: ici, une jeune femme était ensevelie, un bébé à son flanc,  jeune pour l’éternité, probablement morte des suites d’un pénible accouchement, ou de fièvres puerpérales, comme c’était souvent le cas à l’époque.  Là, toute une famille décimée en quelques jours, fauchée par la fameuse épidémie de grippe espagnole.  Bref, de ce jour, je fus prise d’un intérêt pour tous ces lieux, et défricher les épitaphes demeure encore une sorte de devoir posthume.   (Larousse indique “épitaphe”, du grec “épi”,  sur, et “taphas”, tombe – donc, inscription sur un tombeau).

Dans la revue “Continuité” d’hiver (1998-1999, p. 12,) on raconte que c’est à la Pointe Callières qu’on retrouve le premier cimetière catholique où sont enterrés des Français et des Amérindiens.  Il semble qu’au moment de l’enterrement, on préfère les séparer les uns des autres par une clôture.  Par contre, tous sont ensevelis dans des cercueils en pin, fait remarquable puisque, à la même période en Europe, on ensevelissait les morts d’humble extraction dans des fosses communes.

Si nous allions un peu à travers les pages de notre littérature française, parmi les auteurs bien connus du XXe siècle, nous trouvons Paul Valéry, qui a écrit un très beau poème sur le cimetière de Sète, ville du midi de la France où il est né et inhumé.  Le chanteur Georges Brassens a également célébré à sa manière caustique les tribulations d’un grand-père séduit par le cotillon de la MORT.  Cet autre chanteur snob qui “veut qu’on l’enterre dans un suaire de chez Dior”  …Qui n’a lu Georges Bernanos, cet angoissé, et “Les Grands Cimetières sous la Lune”, et qui a dit ceci, “notre vie est pleine de mort”.  Aurait-il inspiré notre poète Félix Leclerc qui déclare de façon péremptoire “la mort, c’est plein de vie dedans”.

Parmi les cimetières célèbres, il y a celui du Père Lachaise (1624-1709), confesseur de Louis XIV.  Son nom est resté attaché au principal cimetière de Paris créé  sur l’emplacement de ses jardins.  Combien d’artistes connus, peintres, écrivains, acteurs, musiciens, politiciens, y dorment de leur dernier sommeil.  Il faut un plan détaillé du cimetière pour y retrouver ses idoles  et un laissez-passer pour y parvenir.

Chez nous, à Saint-Pierre-les-Becquets, dès après la construction de l’église actuelle, l’évêque du temps, Mgr Signay, demande d’exhumer les corps de la vieille église (celle de 1764).  Les dépouilles seront déposées ailleurs.  En 1883, autre exhumation de corps enterrés sous l’église afin d’installer une fournaise.  En 1900, le cimetière fut rehaussé de plusieurs pieds.  On y érigea un charnier surmonté d’un calvaire aux personnages en bois recouverts de tôle dorée (Fig. 2).  Sous l’égide du curé Gouin, on y installa un très beau chemin de croix (Fig. 1).  Les paroissiens n’aimaient guère laisser leur mort dans le charnier, aussi, le curé Gouin les accompagnait et disait un De Profundis.  Les morts étaient inhumés au printemps, et l’on chantait un Libera.  Le curé exige aussi que les épitaphes soient révisées par lui-même avant d’être mises en place, et ce, afin d’éviter les fautes de français.  On a sa fierté. Sait-on que le chemin de croix fut introduit au Canada vers 1822?

Un autre cimetière tristement célèbre, celui de GROSSE-ILE où des milliers de victimes du typhus arrivaient d’Irlande, par pleins bateaux interceptés aux portes de l’Amérique afin d’y faire une quarantaine destinée à préserver les populations du Nouveau-Monde.  Un drame dont le pays porte encore la marque.  L’évêque Cooke, de Trois-Rivières, y avait délégué des prêtres bilingues afin de réconforter les malades, dont le jeune Joseph Bailey qui fut, par la suite, curé à Saint-Pierre-les-Becquets de 1855-1866, où il mourut à l’âge de 47 ans, victime des suites de ses contacts avec les malades de Grosse-Ile.

Au cimetière de Côte-des-Neiges, nombre de Montréalais connus et inconnus sont inhumés.  Plus près de nous, le magnifique cimetière de Gentilly, paroisse voisine par son territoire et par ses habitants,  ce beau cimetière ombragé  se recueille sous les grands pins.  La chapelle funéraire construite en 1896 renferme les murales de Joseph-Adolphe Rho (1839-1905), portraitiste et sculpteur dont quelques travaux subsistent encore dans notre église.

Qu’il repose en paix le célèbre FRERE UNTEL, alias Jean-Paul Desbiens, décédé récemment le 23 juillet dernier à l’âge de 79 ans.  Ses “Insolences du Frère Untel” assenées comme de véritables coups de fouet firent l’effet d’un   tonnerre dans l’univers de l’éducation.

Qu’ils reposent en paix sur les hauteurs de Saint-Pierre, dans ce cimetière étalé au grand soleil, tous ceux qui ont vécu en ce coin de pays, y sont revenus comme à un port d’attache, à jamais inscrits à notre obituaire local.  Oui, au même titre que nos églises, les cimetières sont considérés patrimoines religieux.

 

YOLANDE ALLAIRE-ROUX